Il
ne tolère pas que le gazon prenne le dessus, que la p’louse se permette des
extravagances. Il ne subira pas la provocation de la pousse impromptue.
La
plante audacieuse ne le narguera pas !
Non!
Il réagira avant que la touffe ne dépasse les bornes, que le brin s’organise…
Il
ne ratera pas le jour du grand ratissage…sauf…il n’y a pas de sauf.
Tous
les dimanches, il brave le claquage, le coup de mauvais soleil, la piqûre insectueuse,
l’avis défavorable du bulletin météorologique pour tondre de près son parc à
poils.
C’est
sa messe, son isoloir, son poulet rôti dominical, sa madeleine de p’louse, son
gazon de Proust.
Il
chausse ses bottes moquettées de verdure desséchée, enfile sa culotte de jardin
et dépose sur son crâne un mouchoir à coins noués, gant à pomper la grosse
sueur et fanion à Bobonne. À son signal, elle apportera le rafraîchissement.
Puis
il sort la machine à raccourcir …
Il
se baisse pour tirer la chevillette d’un coup sec, deux fois, trois fois…
Rien!
L’engin
serait-il réticent?
Il
s’agenouille, retire la chevillette. Le geste est moins vif.
Il
insiste…encore…C’est à ce moment que Bobonne intervient. Elle apporte le
tabouret à tirer les chevillettes. Il s’affale, reprend son souffle, tire
mollement la ficelle, la machine glougloute.
-Ah!
On l’a noyée…
Il
attrape son mouchoir de chapeau, essuie la grosse sueur, et fait signe à Bobonne.
Elle
apporte le rafraîchissement.
Enfin
la machine démarre, elle finit toujours par démarrer.
-La
première fois on s’énerve, au bout de quelques fois, on ne s’énerve plus !
Et
c’est parti pour plusieurs heures de course à pied, agile et expérimentée.
Arrêt
sécurisé du moteur-Vidage du panier.
L’ordre
du jour, semaine après semaine est le même, réaliser des couloirs parfaitement
alignés, où le chevauchement d’un passage sur l’autre est finement calculé, le
plus étroit possible, presque inexistant.
Il
connaît sur le bout des doigts la géographie de son jardin, la topographie du
terrain, celle du voisin aussi.
Arrêt
sécurisé du moteur-Vidage du panier.
Il
s’agit d’économiser les tours, les détours et les retours…
Il
galope joyeux et alerte jusqu’au troisième quart de la deuxième heure où ça
commence à tirer dans la guibole.
Arrêt
sécurisé du moteur-Vidage du panier.
C’est
le moment de refaire signe à Bobonne, pour le deuxième rafraîchissement. Elle
guette au garde à vous à l’ombre du parasol à rayures, en transpirant sur une
chaise en plastique. Elle bondit, entraînée, s’engouffre dans la maison et
resurgit un café à la main.
C’est
l’heure du rafraîchissement chaud.
Elle
dévale la pente de la bute, l’orteil agrippé à la savate, la tasse d’une main,
le pliant de l’autre, servir son sportif en herbe, et tremper son mouchoir noué
pour lui rafraichir l’idée. Elle va viser les allées autorisées pour ne pas aplatir
les zones encore intactes. L’herbe couchée se déroberait sous la lame.
Il
a pensé à tout.
Elle
doit penser à tout.
Arrêt
sécurisé du moteur-Vidage du panier.
Il
s’attrape les hanches, vérifie l’exactitude de ses tranchées vertes pommes
vertes d’un œil, et surveille l’itinéraire de Bobonne de l’autre.
Elle
s’applique.
Il
approuve.
Elle
remercie.
Il
gratifie.
Elle
sourit.
La
rigueur les réunit.
Il
évalue le travail encore à faire, décapite quelques pissenlits récalcitrants, se
grandit pour vérifier l’état du gazon du voisin par dessus la haie avant de
s’assoir pour aspirer sa récompense.
Bobonne
admire, encourage, félicite.
L’engin redémarre
plus facilement, il est encore tiède, la chevillette échauffée…
-Tu vois, on ne
s’énerve plus.
Sept ans déjà.
La deuxième partie est plus délicate, il va falloir flirter avec la haie d’épineux, slalomer autour des sapineaux, raser de près le menton de la bute, esquiver les plates-bandes fleuries.
La deuxième partie est plus délicate, il va falloir flirter avec la haie d’épineux, slalomer autour des sapineaux, raser de près le menton de la bute, esquiver les plates-bandes fleuries.
Arrêt sécurisé du
moteur-Vidage du panier.
Les derniers
arpents sont à la hauteur de ses compétences. Il échauffe ses poignets, règle
l’espacement de ses mains sur le manche-guidon-accélérateur et part à l’assaut
de la difficulté.
Son œil est tenace, sa babine acérée, son oreille aérodynamique…les bottes dans les starting-blocks.
Son œil est tenace, sa babine acérée, son oreille aérodynamique…les bottes dans les starting-blocks.
La machine rugit
et ploc!
Ploc?
C’est la panne
sèche.
Aurait-il oublié le coup de pied dans le réservoir translucide pour jauger le carburant ?
Aurait-il oublié le coup de pied dans le réservoir translucide pour jauger le carburant ?
Il agite le
mouchoir.
Bobonne s’étonne.
Il trace de ses
deux mains très plates un carré dans l’espace.
Bobonne scrute.
Il se frappe la
cuisse, redessine dans l’espace un carré encore plus grand et
vérifie par
dessus la haie où en est le voisin.
Bobonne fronce
les yeux.
Il déploie ses
bras au delà d’une envergure raisonnable, il se baisse, le carré invisible
descend jusqu’à ses chevilles.
Bobonne remonte le
menton, pince les lèvres, se frotte le front, agite la tête.
Il recommence ces
gestes mystérieux en articulant en silence quelque chose d’aussi mystérieux. Il
déforme sa bouche en prononciations muettes, redessine le carré dans l’espace,
montre d’un bras tendu la tondeuse arrêtée, se cale un poing dans le flanc, se
penche, tape son pied contre le sol comme pour faire fuir un...
Il exige qu’elle
comprenne.
Il s’impatiente.
Alors ?
Il s’impatiente.
Bobonne a compris.
-Allez on perd du
temps là !
Elle part en
sautillant chercher le bidon de mélange deux temps.
Il s’impatiente encore.
Il s’époussète soudain
les jambes, fait tourbillonner son couvre-chef au niveau du sol, se gifle les
mollets en sautant sur un pied, sur l’autre. Il est dix-sept heures cinquante
sept, l’aoûtat passe à table.
Il remonte en
courant par le côté droit de la maison tandis que Bobonne arrive avec le
carburant par le côté gauche. Leur chorégraphie est parfaitement synchronisée.
Il fonce dans le garage pour enfiler la tenue de camouflage, le treillis de
combat, le bonnet à voilette, la veste à manche longue, le pantalon dans les
chaussettes. La lampe élastiquée lui fripe le front. Il terminera coûte que
coûte le travail commencé, même dans le noir…
Bobonne s’époussète
soudain les jambes, fait tourbillonner sa main au niveau du sol, se claque les
mollets en sautant sur une savate, sur l’autre. Il est dix-huit heures dix-sept,
l’aoutât passe au dessert.
Il revient
déguisé en… tondeur à gazon du soir. Il abreuve la machine du liquide rose et
repart écourter la p’louse.
Bobonne s’échappe.
Il s’énerve,
brusque son appareil.
Arrêt sécurisé du
moteur-Vidage du panier.
Il néglige ses
rangées, épargne quelques touffes,
sarcle allègrement le rebord de la bute, cale une fois ou deux si ce
n’est trois.
Il se grandit. Le
voisin n’est plus là. Il a terminé avant lui. Il se frappe la cuisse.
Arrêt sécurisé du
moteur-Vidage du panier.
Il mouline les
tulipes, dérape sur la mousse, extermine une limace.
Arrêt sécurisé du
moteur-Vidage du panier.
L’engin malmené
lui catapulte un gadin dans le genou.
Il hurle.
-Bobonne! C’est
quoi ça ?
-Un gadin? Ose Bobonne…Elle
court ramasser l’importun dangereux pour le jeter par dessus la haie…Il sera
moins dangereux chez le voisin…
« Bien
fait ! » pense-t-il.
Elle repart.
Arrêt sécurisé du
moteur-Vidage du panier.
Il mordrait, le
dernier mètre est à sa portée. Il galope derrière sa trancheuse. Le voisin réapparait,
il joue au coucou suisse jaillissant de sa fenêtre à intervalles réguliers. Bobonne
ne pourra pas empêcher plus longtemps le gratin de prendre feu. Les petits ne
s’endormiront pas encore…
Arrêt sécurisé du
moteur-Vidage du panier.
Il fait enfin
place au silence… les oiseaux s’enfuient de la haie.
Il a terminé.
Il s’étire,
baille, s’étire...
Il coiffe des
doigts l’herbe épargnée, cisaille les dernières touffes aux ciseaux à buissons.
Le faisceau de sa torche frontale faiblit. Il arrache une pâquerette, un gros
trèfle proéminent qu’il se fourre dans la poche et caresse le dernier centimètre
carré tondu comme on tâte une joue rasée au coupe-chou…C’est doux, c’est bon,
ça sent la taille fraîche, le hachis d’herbe maison. Il a vaincu la p’louse,
terrassé l’herbe folle, dompté le gazon. Il est ahuri de fatigue, vert
chlorophylle. Il a saccagé le dimanche familiale mais il est comblé. Il a
oublié le voisin jusqu’à la semaine prochaine. Il époussète sa précieuse
tondeuse, l’accompagne dans le fond du garage, la borde sous une couverture à
carreaux, lui dit « bonnes nuits » et éteint le néon…
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